Weekend à Penang
Penang est une petite île au large de la péninsule malaise ; c’est aussi le nom de l’Etat (la Malaisie est une fédération) comprenant cette même île et la bande de terre qui lui fait face. Sa capitale, Georgetown, est connue pour ses fresques, son street art, ainsi que pour sa cuisine, qui brasse les influences chinoises, peranakan (les “Chinois des détroits”, descendants des migrants chinois partis peupler les colonies britanniques au XIXe), indiennes et malaises.
Des promenades, de la bonne nourriture, une destination à 1h d’avion de Singapour, cela me semblait donc un bon programme pour un weekend prolongé. Sans compter que le nom de Georgetown à lui-seul me fait rêver : il m’évoque la décadence de l’Empire britannique, les high-teas à l’ombre des palmiers, des colonnades sépia, cramoisi un peu fané, indigo et céruléum. Pour la petite histoire, il faut savoir que pendant six années, entre 1826 et 1832, Georgetown fût la capitale des riches Etablissements des Détroits (ou Straits Settlements, soit les régions de Penang, Malacca et Singapour), administrés par la Compagnie anglaise des Indes orientales – un nom qui sonne joliment et agite mon imagination (et oui, je souffre certainement d’une forme nostalgie romantique et orientaliste, quand bien même je sais que la colonisation n’était pas toute belle ; à ce sujet, Une histoire birmane de George Orwell dresse un portrait assez glaçant de la torpeur et de la dégénérescence ambiantes dans une bourgade d’Asie du Sud-Est sous domination britannique au début du XXe – bref, je ferme cette parenthèse beaucoup trop longue). Enfin, Georgetown m’évoque la douceur de mon année d’échange, dans l’université du même nom (quand bien même il n’y a aucun rapport entre les deux lieux, ce qui m’a finalement décidé à ne pas titrer cet article avec un jeu de mot douteux entre le motto des étudiants de Georgetown -‘I bleed Hoya blue’- et les couleurs pastel et indigo qui habillent la ville).
La visite de la Maison Bleue (Blue Mansion), un voyage-retour au XIXe
Je nourrissais donc de fortes attentes envers cette (petite– c’est la 2e plus grande ville de Malaisie..) ville, et celles-ci ne furent pas déçues.
Penang m’a émue.
La lumière y est fort belle, les couleurs sont chaudes, même lorsqu’elles sont un peu passées. Il y a un charme désuet aux peintures jaunies, à la juxtaposition du béton uni, de la brique, des vieux stucs et des céramiques peranakan et à la colonisation des trottoirs par une foule de palmiers, succulentes et autres plantes aux feuilles géantes et élégamment ciselées, que je ne saurais nommer.
Finalement, ce sont ces scènes de rues, ces tableaux, ces couleurs, qui m’ont plu davantage que le street art. Et qui rendent, par ailleurs, beaucoup mieux en photo. Georgetown est plus vivante que Malacca, et on n’y croise pas seulement des touristes (même si l’entrée du vieux quartier dans la liste du Patrimoine de l’Unesco a fait grimper les prix de l’immobilier et a contribué à vider le centre historique d’une partie de ses habitants). Malgré l’installation des hôtels et cafés dans le centre historique, nombre de shophouses abrite encore échoppes ou ateliers au rez-de-chaussée. Les petits commerces ultra-spécialisés (quincaillerie, vannerie, une très étrange boutique qui vendait pains à burger et pain de mie (?), …) se succèdent sous les arcades, tandis que des cartons ou des scooters empiètent parfois (souvent) sur le trottoir. Les restaurants de rue servent les spécialités locales au petit-déjeuner (char kway teow, nouilles sautées chinoises, ou murtabak, sorte de gros pancake indien garni de viande effilochée et servi avec un curry), au déjeuner (les travailleurs vont se restaurer dans les economy shops, ces cantines servant des plats ‘comme à la maison’) et au dîner. Et en début de matinée, avant que n’ouvrent boutiques et musées, les habitants de Georgetown viennent déposer leurs offrandes et rendre hommage aux divinités et aux ancêtres dans les nombreux temples éparpillés dans la ville.
Fabrication artisanale de kuih dardar (?), galettes de vermicelles de farine de riz aromatisé au pandan, fourrée au sucre de palme et coco
J’ai d’ailleurs été étonnée par le nombre de temples chinois à Georgetown, et en dehors de la ville, et surtout par la richesse de leurs décors, et leur histoire. Les migrants chinois du XIXe ayant amené avec eux leurs traditions et ayant continué de rendre hommage à leurs ancêtres enterrés en Chine, on a parfois l’impression de ne plus se trouver en Malaisie, mais dans une Chine tropicale, alternative. Mon obsession des lanternes en papier a presque été satisfaite.
Ci-dessus : Khoo Kong Si Clan House.
Le temps semble s’être arrêté dans l’enceinte, qui regroupe autour du temple une estrade de théâtre et des quartiers d’habitation.
A quelques mètres des quartiers touristiques (et bruyants) de Georgetown, le Khoo Kong Si apparaît comme un havre de paix, hors du temps.
Si le passage qui ouvre sur la rue n’est pas facile à trouver (en tout cas, je suis passée plusieurs fois devant sans le voir, le cherchant de l’autre côté de la rue…),
cela mérite amplement de faire les 100 pas jusqu’à le repérer.
Ci-dessus : Cheah Kong Si Clan House.
Temple bouddhiste et Pagode Kek Lok Si.
En dehors de la ville (30 min en Grab), et un peu après la très touristique Penang Hill, le temple vaut le détour.
Le hall de prière du premier niveau m’a laissée de marbre, et j’ai commencé à me questionner sur l’intérêt de visiter cette énième temple, mais en poursuivant l’ascension vers la pagode, je suis tombée sous le charme du jardin, des couleurs, et du mix de ses inspirations. Sans compter que depuis la terrasse de la pagode offre une très jolie vue sur les collines de Penang et la ville de Georgetown.
Pour mon deuxième jour à Penang, j’ai décidé de sortir de Georgetown, et de m’aventurer dans la jungle. La réserve naturelle à l’ouest de l’île est facilement accessible en taxi : le trajet dure environ 40 min (et coûte moins de 30 ringgits avec Grab), longe la côte nord de Penang, passant par la ville “balnéaire” de Batu Ferringhi. Mon trek dans la jungle a été considérablement raccourci du fait que l’un des chemins que je comptais prendre était fermé en raison d’un glissement de terrain récent et que la canopée n’avait toujours pas réouvert (c’est à se demander si elle ne l’a jamais été / le sera jamais, puisque tous les blogs et guides indiquent qu’elle était fermée au moment de la visite des auteurs..) mais n’en a pas été moins chouette pour autant, puisqu’outre quelques marcheurs, j’ai croisé de magnifiques papillons, d’énormes lézards (et une guêpe géante, ça c’était moins sympa). Après 1h30 de marché, j’ai atteint une petite plage presque déserte, et de là, pris un petit bateau (des passeurs font l’aller-retour entre les plages et l’entrée de la réserve) pour Monkey Beach, où des restaurants de plage ont été aménagés, et enfin, l’entrée du parc.
En haut à droite : Balade en bateau le long de côtes de la réserve Penang Taman Negara ;
A gauche et en bas à droite : les jetties de Georgetown, petit village sur pilotis.
Et la bouffe, dans tout ça ?
Penang mérite sa réputation de paradis culinaire : spécialités chinoises, indiennes, malaises, peranakan, halal, végétariennes, s’y côtoient. Sans compter les restaurants occidentaux, les maisons de thé servant le high-tea à l’anglaise et les cafés hipster, qui offrent un cadre idéal pour alimenter son fil Instagram et prendre un café glacé en attendant que la chaleur tombe. Très vite, mon problème a été de devoir choisir parmi toutes ces options, conscientes que quatre jours ne seraient pas suffisants pour tout tester.
Le China House, avec son incroyable sélection de gâteaux, me semblait un passage obligé. A éviter cependant en heure de pointe au déjeuner ou au goûter, le service est moins précipité en soirée, pour un verre et un dessert. Le restaurant chinois Teksen, connu pour son “double-roasted pork with chili padi”, un porc rôti, caramélisé, vraiment délicieux, qui m’avait été recommandé par des locaux et figure mon Lonely Planet, était un très bon choix, et malgré la queue à l’entrée, l’attente n’est pas longue. Sup Hameed figurait également sur le Lonely pour sa soupe de mouton et est très bien noté sur internet. Si le cadre n’est guère accueillant (chaises et couverts en plastique, longues tables en métal, et je ne parle pas de la cucaracha qui voulait partager mon repas, âmes sensibles s’abstenir), la soupe et le pain étaient effectivement bons. Enfin, il m’était impensable de ne pas goûter à l’Assam Laksa, soupe de nouilles au bouillon de poisson épais et aigre-doux, pas trop épicé. Joo Hoi Café est vivement recommandé pour son laksa (et son chendol, dessert à base de nouilles de pandan, glace pilée et de sirop de sucre de palme gula melaka) et Moh Teng Pheow a également de très bonnes critiques sur internet et sert également des petits gâteaux peranakan (ayant déjà goûté un très bon chendol a KL et sachant que je ne pourrai pas venir à bout seule, et voulant aussi ramener des kueh à mes collègues, j’ai donc choisi Moh Teng Pheow et c’était un très bon choix).
Et puis je me suis inscrite à un cours de cuisine (le 1er de ma vie, il me semble !), auprès de Pearly Kee, auteure de livres de cuisine et fondatrice de l’école Penang Homecooking School, ce qui m’a permis de faire le tour d’un marché local, découvrir des fruits et légumes que je ne connaissais pas (hello, la sapote, un fruit qui a l’aspect d’une patate, mais dont la chair à la consistance d’une poire et un goût sucré) ainsi que des snacks locaux, et surtout d’apprendre à cuisiner le beef rendang, un ragoût de poisson à la coco et des crevettes sautées avec une sauce aux noix de cajou. Délicieux.
Les lanternes à l’intérieur de Moh Teng Pheow et le fameux asam laksa ;
Bar à cakes de China House ;
Cheesecake et thé au “Petit Four Pâtisserie” & Ice Chaï Latte à “The Alley”;
Petit déjeuner à Ren i Tang.
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